01 Jan Périmètre du groupe en matière de licenciement pour cause économique :
Dans trois arrêts du 16 novembre 2016, la Cour de cassation clarifie la notion de groupe dans le cadre d’une procédure de licenciement pour motif économique en distinguant le périmètre du groupe pour l’appréciation du motif économique du licenciement de celui du groupe dans lequel doivent être recherchées les possibilités de reclassement par l’employeur.
A – La cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.
Rappelons que l’article L2331-1 du Code du travail définit le groupe comme étant formé par une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et des entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce. Ainsi, notamment, toute personne, physique ou morale, est considérée, comme en contrôlant une autre :
1° Lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;
2° Lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société ;
3° Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;
4° Lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société.
Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu’elle dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.
Est également considérée comme entreprise dominante, pour la constitution d’un comité de groupe, une entreprise exerçant une influence dominante sur une autre entreprise dont elle détient au moins 10 % du capital, lorsque la permanence et l’importance des relations de ces entreprises établissent l’appartenance de l’une et de l’autre à un même ensemble économique.
L’existence d’une influence dominante est présumée établie, sans préjudice de la preuve contraire, lorsqu’une entreprise, directement ou indirectement :
– peut nommer plus de la moitié des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise ;
– ou dispose de la majorité des voix attachées aux parts émises par une autre entreprise ;
– ou détient la majorité du capital souscrit d’une autre entreprise.
Lorsque plusieurs entreprises satisfont, à l’égard d’une même entreprise dominée, à un ou plusieurs des critères susmentionnés, celle qui peut nommer plus de la moitié des membres des organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise dominée est considérée comme l’entreprise dominante, sans préjudice de la preuve qu’une autre entreprise puisse exercer une influence dominante.
B – La Cour de cassation précise également l’appréciation de la pertinence d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
La pertinence d’un plan de sauvegarde de l’emploi doit être appréciée en fonction des moyens dont disposent l’entreprise et le groupe dont elle fait partie pour maintenir les emplois ou faciliter le reclassement. S’agissant des possibilités de reclassement au sein du groupe, cette pertinence doit s’apprécier parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel. En revanche, s’agissant des moyens financiers du groupe, la pertinence doit s’apprécier compte tenu des moyens de l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.
Cass., Soc., 16 novembre 2016, N°14-30063
Cass., Soc., 16 novembre 2016, N°15-19927 à 15-19939.
Résumé des arrêts de la Cour de cassation :
– Licenciement pour motif économique – Périmètre du groupe. Cass., Soc., 16 novembre 2016, N°14-30063.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000033429110&fastReqId=838363737&fastPos=70
Mme X…, engagée le 17 juin 1996 en qualité d’employée libre service par la société Coudekerque distribution, devenue la société Comalim, qui exploitait un hypermarché sous l’enseigne « Leclerc », a été licenciée le 13 décembre 2008 pour motif économique.
La cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national
Ayant constaté que, si l’entreprise appartenait à un réseau de distribution qui constituait un groupement de commerçants indépendants, se structurant autour d’une association des centres distributeurs Leclerc décidant de l’attribution de l’enseigne à ses adhérents et définissant les orientations globales du réseau, d’un groupement d’achat commun aux centres Leclerc et de coopératives régionales qui assurent des fonctions logistiques au bénéfice des commerçants adhérents, il n’existait pas de liens capitalistiques entre les sociétés ni de rapport de domination d’une entreprise sur les autres, la cour d’appel a pu en déduire que l’entreprise n’appartenait pas à un groupe, en sorte que la cause économique du licenciement devait être appréciée au niveau de l’entreprise.
Ayant constaté, en l’état des éléments qui lui étaient soumis tant par l’employeur que par le salarié, qu’il n’était pas démontré que l’organisation du réseau de distribution auquel appartenait l’entreprise permettait entre les sociétés adhérentes la permutation de tout ou partie de leur personnel, la cour d’appel a pu retenir, sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve, que ces sociétés ne faisaient pas partie d’un même groupe de reclassement.
– Licenciement pour motif économique – Périmètre du groupe. Cass., Soc., 16 novembre 2016, N°15-19927 à 15-19939.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000033429229&fastReqId=838363737&fastPos=67
La société Lagarde, détenue par la société holding Gregoire, et ayant pour activité la fabrication et la vente de machines agricoles et forestières, a procédé courant 2009 à sa restructuration par l’arrêt de fabrication de certains produits et conduisant au licenciement de 22 salariés pour motif économique, le 12 décembre 2009. M. X… et onze autres salariés ont saisi la juridiction prud’homale pour contester leur licenciement. Par jugement du 23 mai 2012, la société Lagarde a été mise en liquidation judiciaire, la société Laurent Mayon ayant été désignée comme mandataire liquidateur.
La cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.
La cour d’appel, par motifs propres et adoptés, et par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis à son examen, a constaté qu’étaient justifiées les difficultés économiques invoquées à l’appui du licenciement des salariés, tant au niveau de la société Lagarde, qu’au niveau de la société holding Grégoire AS située en Norvège et des autres sociétés détenues par celle-ci, à savoir les sociétés Grégoire (SAS) et Socomav, exerçant dans le même secteur d’activité que la société Lagarde. La cour d’appel, sans avoir à procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision.
D’abord, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis à son examen tant par l’employeur que par les salariés, la cour d’appel a retenu, sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve, qu’il était démontré que le périmètre du groupe de reclassement était limité au groupe Grégoire AS, composé d’une holding en Norvège Grégoire AS, simple portage de portefeuilles sans effectif, et de deux filiales, outre la SAS Lagarde, la SAS Grégoire et la SARL Socomav.
Ensuite, appréciant les éléments de fait et de preuve soumis à son examen, la cour d’appel, par motifs adoptés, qui a constaté que l’employeur avait interrogé les sociétés du groupe en vue du reclassement des salariés dont le licenciement était envisagé, en précisant l’intitulé du poste, son coefficient et la catégorie d’emploi et sa rémunération, que chacun des salariés s’est vu proposer les postes disponibles au sein du groupe suivant une offre suffisamment précise, ainsi que les emplois disponibles dans la région issue du site de la métallurgie Gironde-Landes, sans qu’il soit invoqué que ces postes ne correspondaient pas aux compétences et capacités des salariés, de même que ces derniers ont été informés de postes disponibles auprès d’autres sociétés extérieures au groupe, a pu en déduire que l’employeur avait loyalement satisfait à son obligation de reclassement.
– Licenciement pour motif économique – Périmètre du groupe. Cass., Soc., 16 novembre 2016, N°15-15190, 15-15204, 15-15208, 15-15222, 15-15225, 15-15229 à 15-15231, 15-15233, 15-15235, 15-15238, 15-15243, 15-15268, 15-15270, 15-15278, 15-15287.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000033429163&fastReqId=683693042&fastPos=60
La société Plysorol, spécialisée dans la fabrication de panneaux de bois sur trois sites en France, Magenta, Fontenay le Comte et Lisieux qui employaient respectivement 93, 113 et 75 salariés, contrôlait deux filiales situées au Gabon – les sociétés Leroy Gabon et Pogab – qui fournissaient et transformaient le bois des forêts de ce pays. Suite à un redressement judiciaire prononcé le 31 mars 2009 de la société Plysorol, un plan de cession a été ordonné au profit de la société de droit chinois Shandong, à laquelle s’est substituée la société Plysorol Europe nouvellement créée. Le 9 avril 2010, cette dernière a été placée en redressement judiciaire, puis le 11 octobre 2010 le tribunal de commerce de Lisieux a autorisé la cession de ses actifs à la société de droit libanais Woodtec détenue à 94% par M. Y… et la société Plysorol International était constituée. Le 6 septembre 2012, le tribunal de commerce prononçait la liquidation judiciaire de la société Plysorol International avec une poursuite d’activité jusqu’au 30 septembre 2012, désignant la société Beuzeboc et M. A… comme mandataires liquidateurs lesquels, après la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi, licenciaient pour motif économique le 1er octobre 2012 l’ensemble des salariés de cette entreprise. M. B… et 15 autres salariés de la société Plysorol International ont saisi la juridiction prud’homale de demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, préjudice moral et diverses autres demandes.
La pertinence d’un plan de sauvegarde de l’emploi doit être appréciée en fonction des moyens dont disposent l’entreprise et le groupe dont elle fait partie pour maintenir les emplois ou faciliter le reclassement. S’agissant des possibilités de reclassement au sein du groupe, cette pertinence doit s’apprécier parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel. En revanche, s’agissant des moyens financiers du groupe, la pertinence doit s’apprécier compte tenu des moyens de l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.
Pour constater l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi et fixer en conséquence diverses sommes au passif de la liquidation judiciaire de la société Plysorol International, les arrêts retiennent, par motifs propres et adoptés, que ce plan ne contient aucun dispositif pour faciliter la mobilité des salariés faute notamment de participation financière du groupe. L’argumentation des organes de la procédure suivant laquelle l’appréciation des moyens du groupe devait se faire au regard de la situation des sociétés Woodtec, Leroy Gabon et Pogab, seules sociétés ayant entre elles des liens capitalistiques et constituant le groupe au sens de la loi et qui se trouvaient en situation financière obérée, ne peut être retenue. En effet, l’expert financier judiciaire désigné dans le cadre de la procédure collective, emploie lui-même l’expression “groupe ghanéen John Bitar” pour recouvrir Plysorol et ses filiales, ainsi que la société John Bitar Gabon elle-même filiale de ce groupe, et donc ce dernier ne doit pas être exclu du périmètre de financement du plan de sauvegarde de l’emploi et ce d’autant que la société John Bitar Gabon était devenue titulaire des permis forestiers au Gabon. Cette analyse ne s’avère pas contredite par le rapport de l’administrateur judiciaire dont il appert que Woodtec, mais surtout M. C… lui-même avaient consenti des prêts à Plysorol et les capacités financières au moment du plan de sauvegarde de l’emploi du même M. C… ne sont pas connues ni n’ont été recherchées. L’administrateur en analysant le poste « Dettes fournisseurs » y inclut des montants dus « aux sociétés du groupe » et il cite à ce titre la société libanaise Totalwood, et la société de droit anglais « Timber & Trading Agency » de sorte que rien ne permet de se convaincre que ces deux entités incluses par les organes de la procédure dans le périmètre de reclassement, devaient être exclues d’emblée pour le financement du plan de sauvegarde de l’emploi. Enfin, il n’est nullement établi que la société John Bitar Gabon ne disposait pas de moyens pour contribuer au plan de sauvegarde de l’emploi alors que le procès-verbal du comité d’entreprise du 29 mai 2012 après avoir rappelé que cette société avait été en mesure de recapitaliser respectivement à hauteur de 70% et 10% les sociétés Pogab et Leroy, reprenait son intention déjà exprimée dans un communiqué du 3 avril 2012 d’investir pour Plysorol un million d’euros dans un nouveau procédé.
En statuant ainsi, par des motifs en partie inopérants, sans limiter son appréciation des moyens financiers du groupe auquel appartenait la société Plysorol aux sociétés unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-10 du code du travail dans sa version applicable au litige.
Pour dire les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement interne et de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Plysorol International des créances au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du préavis et des congés payés y afférents, les arrêts retiennent qu’il est d’abord constant qu’aucune possibilité de reclassement n’existait dans la société liquidée. Celle-ci appartenant à un groupe -constitué avec les sociétés Leroy et Pogab – et où le cessionnaire des actifs, M. C…, par le truchement de la société Woodtec se trouvait en liens économiques et financiers avec d’autres sociétés sises au Gabon, au Ghana et au Royaume-Uni, les mandataires liquidateurs devaient rechercher les postes disponibles parmi les sociétés permettant des permutations et adaptations des emplois visés par le licenciement. Les organes de la procédure ont valablement identifié – non sans difficultés au regard de leur dispersion géographique, du bref délai, et du temps mis par M. C… à répondre, deux relances ayant dû lui être adressées – neuf sociétés qu’ils ont interrogées. Toutes ont répondu négativement, seule la société de droit du Gabon John Bitard Gabon ayant indiqué avoir deux postes disponibles – un responsable engin diéséliste et un directeur de développement – dont il est établi qu’ils ne correspondaient aucunement, même après adaptation aux compétences et qualifications des salariés licenciés. Cependant, à ces neufs sociétés identifiées, n’a été adressée qu’une lettre citant les textes du code du travail, résumant la procédure et requérant communication de la description détaillée des postes éventuellement disponibles, mais il n’est pas établi ni même allégué par les mandataires liquidateurs qu’ils avaient joint la liste de tous les emplois tenus par les salariés concernés par le licenciement, avec mention des fonctions, catégories professionnelles, dates d’ancienneté, coefficients, en sorte qu’avec ces précisions, les entités questionnées auraient peut-être été en mesure de trouver un poste disponible. Dès lors la consultation n’a pas été satisfaisante car dépourvue de précision.
En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations, qu’à la suite des recherches effectuées par les mandataires liquidateurs dans le bref délai qui leur était imparti par la procédure, aucun poste, en rapport avec les compétences des salariés licenciés, n’était disponible dans la société liquidée et au sein des entreprises du groupe de reclassement permettant une permutation de personnel, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article L.1233-4 du code du travail dans sa version applicable au litige.
Michaël AMADO
Avocat au Barreau de Paris et de Montréal